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témoignage

Il en est d’autres. D’une manière générale, les Alliés se sont détournés avec trop de hâte des souvenirs de la guerre. Trop de voix chez les neutres, chez les vaincus et même chez nous, dénonçaient les méfaits d’une pensée attardée au passé. Le présent et l’avenir seuls importaient. Le monde voulait vivre. Il fallait écarter tout ce qui pouvait retarder une reprise normale des relations politiques et économiques.

Évoquer les souvenirs et les tourments de la guerre, c’était faire obstacle à la renaissance de la vie. Les Alliés devaient savoir « dominer leur victoire », le mot était déjà à la mode.

Assurément, c’eût été là une tactique raisonnable si l’Allemagne avait été sage, si elle avait tiré des derniers événements la leçon qui s’imposait, si elle avait mis à profit pour panser ses plaies et redresser son économie l’atmosphère de confiance dont l’entouraient les nations voisines.

Mais c’était là le moindre de ses soucis. Dans ses casernes, elle faisait de chacun des soldats de l’armée de l’armistice un futur gradé. Dans ses écoles, elle empoisonnait plus que jamais l’esprit des enfants des principes du germanisme. Dans ses usines habilement camouflées, elle reprenait la fabrication des matériels de guerre. Bref, elle se mettait en situation, l’occasion aidant, de repartir une fois de plus à la conquête du monde.

Il eût fallu une poigne de fer pour la maintenir dans les lisières du traité ; on n’avait pour elle que douceurs et ménagements.

Les Alliés auraient dû faire autour de la magnifique victoire qui avait couronné la campagne de France une publicité analogue à celle que le grand état-major allemand avait si habilement orchestrée après ses succès de 1870-71. Au lieu de cela, on faisait silence, comme si on avait craint de chagriner les Kronprinzen de Prusse et de Bavière, les von Hindenburg, von Ludendorff, von Moltke, von Falkenhayn, von Kluck, von Hauser, von Bulow et autres, organisateurs et responsables de la défaite de l’Empire.

On eût dû même révéler au monde les actes de brutalité