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témoignage

Formant les deux branches d’une tenaille, elles avaient toutes chances de faire prisonnière une bonne partie de l’armée allemande. Celle-ci était incapable de toute résistance ainsi que le maréchal Hindenburg en a fait l’aveu dans sa note du 3 octobre 1918 au Conseil de cabinet de Berlin :

« Par suite de l’écroulement du front de Macédoine, de l’affaiblissement consécutif de nos réserves sur le front occidental et de l’impossibilité de compenser les pertes considérables que nous avons faites dans les batailles des jours derniers, il n’y a plus d’espoir, autant que l’homme peut en juger, d’imposer la paix à l’ennemi. Nos adversaires, de leur côté, amènent constamment à la bataille de nouvelles réserves de troupes fraîches… Dans ces conditions, il est souhaitable de mettre fin à la lutte pour épargner au peuple allemand et à ses Alliés des sacrifices inutiles. »

Poincaré, Georges Leygues et moi, plus avertis que d’autres de la mentalité allemande, nous penchions pour la thèse d’une prolongation de la guerre de quelques semaines, Clemenceau, Foch et, je dois le dire, la plupart des autorités alliées acceptaient le principe d’un armistice immédiat. Il fut donc signé.

Il advint ce qu’on pouvait prévoir. À peine le cessez-le-feu avait-il sonné, les troupes allemandes, tenues en main par leurs chefs, façonnées aux rigueurs d’une discipline sévère, reprenaient en ordre le chemin du Reich. Elles repassaient le Rhin dans une manière de demi-triomphe, le fusil sur l’épaule, aux accents du Deutschland uber alles et du Wacht am Rhein, faisant écho à la parole insolente d’Erzberger à Rethondes :

« Le peuple allemand qui, pendant cinquante mois, a tenu tête à un monde d’ennemis, gardera, en dépit de toute violence, sa liberté et son unité. Un peuple de 70 millions d’habitants souffre, mais ne meurt pas. »

Des arcs de triomphe étaient même dressés dans certaines villes.

Le peuple allemand, avec cette ardeur au travail et cette discipline qui sont ses plus belles qualités, reprenait le collier sans avoir mesuré l’étendue de sa défaite.