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témoignage

le mettre en révolte morale contre les chefs civils et militaires qui l’ont jeté dans la tourmente et lui enlever pour longtemps l’envie de recommencer.

De cela, les Alliés ne se sont pas suffisamment souciés en 1918. Ils étaient si las après cinquante-deux mois de souffrances de toute nature qu’ils ont saisi la première défaillance de l’ennemi pour mettre fin aux tueries qui ensanglantaient le monde et accepter la signature d’un armistice. C’était naturel, c’était humain. Était-ce sage ?

On connaît les deux thèses en présence. On en a beaucoup discuté depuis. Je m’en suis entretenu plusieurs fois avec le maréchal Foch dans les lendemains de la guerre. L’avis d’un tel chef est certainement des plus qualifiés :

« Qu’est-ce qu’un armistice ? disait-il. C’est une suspension d’armes que le vainqueur accorde au vaincu pour éviter une effusion de sang inutile et discuter entre temps des conditions de paix qu’il est en état de lui imposer. Car la guerre est un moyen, elle n’est pas une fin. On ne la fait pas pour remporter des victoires, pour rafler des dizaines de milliers de prisonniers et des centaines de canons, mais uniquement pour faire subir sa volonté, toute sa volonté à l’adversaire.

« Des victoires, lorsque nous avons signé l’armistice le 11 novembre à Rethondes, il y a plus de deux mois que nous en remportions presque sans arrêt. Nous aurions pu, certes, continuer de la sorte, mais à quoi bon continuer si l’ennemi acceptait, militairement parlant, toutes nos conditions, des conditions telles que, même au cas où il l’aurait voulu, il lui était matériellement impossible de reprendre les armes. Il se trouvait donc absolument obligé de se plier à toutes nos exigences…

« Ce qui m’importait à moi, par-dessus tout, le jour où pour la première fois j’en ai débattu dans mon esprit les conditions, c’était de tenir solidement la ligne du Rhin et les têtes de pont. Voilà le point essentiel. Tout le reste était accessoire. Je savais bien que l’armée allemande, dans l’état matériel et moral où elle se trouvait, après que nous l’aurions privée d’une partie importante de ses mitrailleuses, de ses canons, de ses transports, obligée de se replier à grande allure de l’autre côté du fleuve, était tout à fait