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ma déportation en allemagne


J’y avais été reçu officiellement deux fois comme chef de l’État, d’abord à l’occasion de l’ouverture du canal latéral à la Moselle de Metz à Thionville, ensuite pour l’inauguration du monument aux morts de la grande guerre. La cité avait mis alors son pavois dehors ; ses rues, ses avenues, et ses places s’animaient dans la joie d’une population heureuse de manifester une fois de plus son attachement à la mère patrie. Et voilà que je la retrouvais aujourd’hui dans la souffrance et l’angoisse.

Mais patience, cité de Fabert et de Ney, pensais-je en moi-même. La victoire est en marche. Depuis qu’à Stalingrad sur la lointaine Volga et à El Alamein aux confins égyptiens, l’Allemand a dû pour la première fois s’avouer vaincu, il ne cesse de reculer. Il est lancé sur le plan incliné de la défaite. Rien ne pourra l’y arrêter. Une heure viendra où les armées françaises et alliées, unies pour le suprême effort final, chasseront de ton enceinte et de tes forts l’ennemi détesté. Ce jour-là, je reviendrai vers toi et comme aux heures bénies de novembre 1918, je connaîtrai à nouveau la joie ineffable de retrouver ton beau et fier visage.

Toujours accompagné de mon gardien qui me rappelait le présent odieux, mais ragaillardi par mes anticipations d’avenir vers un Metz libre, je revins à la gare, symbole magnifique de la lourde et prétentieuse architecture allemande. À minuit, je prenais le rapide venu de Cologne qui devait me ramener à Paris le lendemain matin.

Le reste du voyage fut sans histoire. À mon arrivée dans la capitale je trouvai un haut fonctionnaire du S. D. qui m’avait rendu visite jadis à la villa de Neuilly. Après un court séjour à son domicile, je me rendis chez mon fils où je retrouvai les membres de ma famille.

Je revins aussitôt à Vizille dans la joie de la liberté recouvrée, mitigée toutefois par les soucis d’une santé délabrée au rétablissement de laquelle il me fallait donner mes soins.

En somme, mis à part les horribles souvenirs de ma brutale arrestation et le regret de laisser dans sa geôle mon compagnon de captivité l’ambassadeur François-Poncet, je n’emportais pas de mon aventure une impression trop fâcheuse.