Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/174

Cette page a été validée par deux contributeurs.
162
témoignage


attendre sur place le départ du prochain rapide à minuit. Une voiture vint nous prendre pour nous conduire au siège de la Gestapo.

Tandis que l’agent était en conversation avec ses chefs, demeuré seul dans la voiture, je réfléchissais et je souffrais. Ainsi donc, je revoyais ma chère ville de Metz sous la domination allemande comme au temps de ma jeunesse avant l’autre guerre. J’observai que les monuments du Poilu de 14-18, du maréchal Ney et de Déroulède avaient été enlevés. Quel sacrilège ! Il est vrai que le cheval de Frapin, si alerte, si élégant, était toujours sur son socle.

Comme pour aviver encore ma douleur, l’agent du S. D. se laissait aller à des réflexions qui me blessaient profondément, sans qu’il s’en doutât d’ailleurs. C’est bien là un trait du manque de psychologie allemande.

— Avez-vous remarqué, me disait-il, que presque toutes les enseignes des magasins sont en langue allemande ?

Je ne pus m’empêcher de lui dire :

— Il n’y a rien d’étonnant à cela, les commerçants ont dû obéir à l’ordre de l’autorité.

— Point du tout, ajouta-t-il, cela est conforme au vœu des habitants.

En arrivant à l’hôtel, il demanda un salon avec un bulletin de réquisition de la Gestapo. La personne qui était au comptoir manifesta quelque humeur, car elle dut libérer une pièce déjà retenue pour nous l’affecter. Il ne manqua pas de me le faire remarquer.

— Avez-vous vu, me dit-il, la façon dont cette dame nous a reçus ? Après cela, on s’étonne qu’il y ait lieu de montrer quelque dureté à l’égard de ces Lorrains à mauvaise tête !

La nuit venue, je proposai à l’agent de faire une courte promenade dans Metz, vers l’esplanade et la cathédrale. Retrouver ma chère cité messine dans cette atmosphère de tristesse, de solitude et d’abandon, elle que j’avais vue si souvent, entre les deux guerres, dans la joie de la France retrouvée, quelle douleur ! j’y venais chaque année au cours des vacances. Je me plaisais à errer dans ses vieilles rues, à méditer sur les vestiges trop rares de ses anciens remparts, à me promener sur les rives de la Moselle jadis chère à Ausone.