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ma déportation en allemagne

attaché au cou par une courroie. Une heure environ après le départ, le conducteur de la voiture parcourt le corridor en criant : « Alerte ! levez-vous. » Nous entrions dans une zone alertée et, dans ce cas, il y a une consigne très sévère à suivre. L’agent m’ayant invité à me lever, je répondis que ce n’était peut-être pas nécessaire ; je n’avais pour ma part aucune inquiétude. Mais il réitéra son invitation avec force : « C’est l’ordre, dit-il, il faut s’y soumettre. » Je me levai. À peine étions-nous vêtus que la même voix du conducteur se fit entendre à nouveau : « Couchez-vous, » ce que nous fîmes. Je m’endormis aussitôt ayant vaguement le sentiment que le train était arrêté. Nous apprîmes en effet le lendemain que Stuttgart avait été bombardée cette nuit et nous avions été garés un certain temps à Ulm, si bien qu’au matin, à la traversée de Heidelberg, nous avions près de cinq heures de retard.

Vers 9 heures, nous arrivâmes à Mannheim et à Ludwigshafen. Je pus me rendre compte des ravages occasionnés à ces deux villes par les bombardements. En dehors des usines, que je n’ai pas vues, mais qui sans doute ont été très éprouvées, la plupart des immeubles d’habitation compris entre les deux agglomérations et voisins de la voie ferrée étaient ou détruits ou gravement endommagés. De l’une à l’autre, et notamment à la traversée du Rhin, le train circulait au pas. Nous assistions dans les deux gares au départ de trains emmenant des enfants à la campagne, tandis que les parents en larmes, restés sur le quai, leur faisaient des adieux touchants. En même temps, je revoyais les spectacles semblables de l’autre guerre restés si vivants dans mon souvenir. Je songeais aussi aux bombardements sévères exécutés au début de cette guerre sur les villes ouvertes de Varsovie, Belgrade, Rotterdam, Coventry, etc…, et sur les convois de réfugiés égarés sur les routes de France ; je me disais que quand on a ouvert les écluses de la destruction, rien ne peut les fermer et chacun à son tour en subit les douloureux effets.

Après tous ces incidents, nous arrivâmes à Metz avec plusieurs heures de retard. Le rapide Cologne-Paris qui devait remorquer notre voiture était parti. Nous dûmes donc