Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.
159
ma déportation en allemagne

C’était en somme un brave homme, assez peu nazi. Il me confia d’ailleurs qu’il avait appartenu jadis au parti socialiste ; mais, comme dans tout Allemand, il y avait en lui deux aspects : l’un, romantique, l’autre, réaliste ; l’un, fait de sentimentalité, l’autre, de soumission stricte à la discipline.

— Vous n’êtes pas mon prisonnier, me disait-il. Je suis ici seulement pour vous accompagner, recevoir l’expression de vos désirs et les satisfaire.

Oui, mais le soir, au moment de nous coucher (nous occupions deux chambres contiguës, avec une seule issue sur le couloir, la mienne commandant la sienne), il se précipita sur la porte de ma chambre, la ferma à double tour et emporta la clé. Qu’étais-je donc, sinon son prisonnier ?

Après nous être reposés au Bayerischerhof, nous fîmes une promenade en ville et dînâmes dans une brasserie. Grande animation, gens calmes, paisibles, rassis ; rien en vérité n’indique la guerre, sinon le grand nombre d’uniformes portés par les hommes et les femmes. Au retour, dans la nuit, black-out total. La ville est lugubre. Cela me rappelle nos villes de l’est de l’autre guerre.

Le jeudi 7 octobre, mon gardien me montre les principales avenues et quelques vieilles rues de Munich presque toutes d’ailleurs touchées par le bombardement. Nous passons devant l’Opéra, détruit par deux bombes de 2 000 kilos quelques jours auparavant, peu après la fin de la représentation. J’examine les passants ; ils considèrent ce douloureux spectacle avec résignation et colère tout ensemble ; ils souffrent évidemment de l’impuissance de leurs dirigeants à empêcher de tels sinistres. Nous nous arrêtons un instant à la cathédrale où des vitraux ont été brisés.

Au retour à l’hôtel, mon gardien m’apprend qu’il ne pourra pas m’accompagner à Paris, appelé à déposer le lendemain comme témoin dans un procès. Il me présente son remplaçant, autre agent du S. D. Celui-ci, qui a été observateur d’avion pendant la guerre, est un nazi plus ardent. Il est intelligent, instruit, féru de propagande ; il connaît à merveille son bréviaire et ne cesse de le réciter. Décidé à ne pas me laisser aller à des discussions de fond, je subis