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témoignage

au donjon après ma promenade quotidienne, le capitaine me prévint qu’un officier du S. D. venait d’arriver d’Innsbruck avec un télégramme me concernant. Je me rendis à son bureau. J’y trouvai en effet un officier que j’avais rencontré lors de mon premier voyage à la clinique. Il me lut un télégramme venu de Berlin, relatif à mon retour possible en France. Je vis MM. Daladier et Reynaud qui me conseillèrent vivement d’accepter la proposition qui m’était faite, attendu que rien ne justifiait mon internement rendu plus contre-indiqué encore par mon état de santé.

Le lendemain mercredi 6 octobre, après avoir fait mes adieux à mes compagnons de captivité et m’être séparé d’eux non sans une certaine mélancolie parce que je les abandonnais ainsi à leur triste sort, je pris le chemin de Munich. Une fois de plus, le capitaine du camp m’emmenait dans son auto. Il n’emprunta pas cette fois l’autostrade par où nous étions arrivés. Il prit une route qui serpentait dans de jolis vallons, aux prairies verdoyantes où paissaient de magnifiques troupeaux de bovins, aux pentes couvertes de sombres forêts de sapins, aux villages coquets avec leurs maisons propres et fleuries. Quelques lacs, comme le Schliersee, rappelant nos lacs de Gérardmer, Longemer, Retournemer, agrémentaient le trajet.

À l’arrivée à Munich, nous suivions une large avenue où la plupart des maisons avaient été endommagées par un bombardement récent. « Triste spectacle ! » disais-je au capitaine, pour ne pas paraître indifférent. Et lui de me répondre, d’un air dégagé, peut-être dans un mouvement de crânerie : « Que voulez-vous ? c’est la guerre. » Nous nous rendîmes au siège de la Gestapo à l’ancien palais royal. Là, je me séparai du capitaine, et fus confié à un agent du S. D.

Cet agent était un bon gros Bavarois, blond aux yeux bleus ; il avait étudié à l’université de Nancy, il avait séjourné dans la région de Longwy, Briey et Metz ; il avait été blessé au début de la guerre près de Lille. Il me parlait de sa mère, fermière aux environs de Rosenheim où étaient réfugiés ses deux enfants. Il avait recueilli chez lui la nuit précédente deux ouvriers français dont l’immeuble avait été bombardé.