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témoignage


viande de 250 grammes, après avoir été jusqu’à il y a quelques mois à 350 grammes, au lieu des 90 ou 60 grammes de France, non toujours honorés d’ailleurs.

À l’hôpital, je suis accueilli par le docteur P… Sa réputation, me dit-on, est grande dans tout le Tyrol. Il m’interroge d’abord sur mes antécédents de santé. Il m’examine avec le plus grand soin. Il est frappé d’abord par l’œdème de mes jambes ; il m’ausculte très longuement ; il prend ma tension, fait une prise de sang ; je passe à la radiographie et devant divers appareils compliqués dont le nom m’échappe, orgueil de la science médicale allemande.

Le docteur me demande de revenir le voir après une dizaine de jours. En attendant, je devais suivre un régime sévère, impossible d’ailleurs à pratiquer au camp.

Le mardi 21 septembre, je retournai à Innsbruck. Cette fois, nous fûmes contrôlés à sept reprises sur les 85 kilomètres de parcours. À chaque poste composé de quatre gardes dont deux vieux et deux jeunes, le capitaine quoique en uniforme, devait montrer deux laissez-passer ; parfois le poste s’adressait aussi à moi et me demandait mes pièces d’identité. Le capitaine s’y opposait énergiquement, car ma présence ne devait pas être révélée. Nein, nein, s’écriait-il et il descendait de voiture pour fournir quelques explications au chef de poste qui n’y comprenait rien en voyant un officier conduisant un civil dans sa voiture.

Le docteur P… m’ausculta à nouveau ; il dicta une longue note d’observations à sa secrétaire. Il fit une nouvelle prise de sang, mais il ne me donna aucune précision sur les résultats de son premier examen, il me laissa seulement entrevoir la nécessité de quitter le lieu d’internement et d’entrer à la clinique pour y suivre un traitement particulier.

J’eus alors un réflexe un peu vif. Puisqu’une partie de mon mal, il le disait lui-même, venait du choc moral subi par moi à travers tous les événements passés, ce n’est pas en m’éloignant de mes compagnons français et en me confinant dans un milieu où je serais seul que je pourrais guérir. Peut-être le traitement physique que je subirais aiderait-il à mon rétablissement, mais il serait contrarié par le côté moral de ma situation. Il n’y avait qu’une solution véritable :