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ma déportation en allemagne

vraiment un magnifique Français auquel je garde une reconnaissance particulière pour ce qu’il a fait pour adoucir la rigueur de mon séjour. Avec M. Nitti, on peut aborder tous les sujets, diplomatie, histoire, philosophie, économie politique ; ses connaissances sont universelles ; on a beau évoquer à l’improviste n’importe quelle question, il a réponse à tout. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui ; mais les différences de pensée ne font qu’animer la conversation. Il est assez germanophile, comme au lendemain de l’autre guerre.

— L’Allemagne est notre voisine, dit-il ; il faut, ou la supprimer, ce qui est impossible, ou s’arranger pour vivre avec elle en bons termes.

Tout le monde en est bien d’accord. La seule difficulté est de régler les conditions de cet arrangement. À égalité de droits, oui ; en subordination suivant les théories de l’espace vital, non. Toujours très antifasciste, M. Nitti croit la carrière de Mussolini terminée. Il est par ailleurs très confiant dans la fin prochaine et victorieuse de la guerre. Il apporte un brin d’optimisme dans ce milieu, il espère que ses compagnons et lui seront libérés pour le Ier janvier prochain (1944). M. Jouhaux fume mélancoliquement sa bonne vieille pipe au cours de ses promenades sur le chemin de ronde en songeant à ses projets d’avenir.

Le samedi 11 septembre, je me rends à l’hôpital-clinique d’Innsbruck pour y passer une visite médicale nécessitée par mon état de santé. Le capitaine du camp m’y conduit dans son auto. Il fait un temps ravissant. La vallée de l’Inn que j’ai traversée en 1895 et en 1899 en me rendant à Vienne, la première fois en voyage d’études de mines, la seconde fois au lendemain d’une mission en Bosnie-Herzégovine pour la Revue des Sciences, est très belle. Riches prairies, villages riants, maisons propres et confortables ; de nombreux troupeaux de vaches paissent dans les prés ; il ne semble pas qu’il y ait eu de grandes réquisitions de bétail et cependant on jouit ici d’une ration hebdomadaire de