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témoignage


philosophie, sciences, romans, langues. Quoique isolé complètement du monde, car on n’a pas la moindre relation avec le dehors, on n’ignore cependant pas ce qui s’y passe. On reçoit chaque jour plusieurs journaux allemands : Das Reich, où se trouve l’article hebdomadaire du docteur Gœbbels que toute la presse reprend et paraphrase au long de la semaine, Der Vôlkischerbeobachter, la Pariser Zeitung. Plusieurs journaux de langue française arrivent également : l’Œuvre, l’Écho de Nancy, les Nouveaux Temps, la Gerbe, le Pays réel, etc… Bien entendu, la lecture de tels organes est odieuse aux personnes présentes ; on la pratique quand même en vue de connaître les nouvelles.

J’ajoute encore, et ceci est fort important, qu’un poste de radio est installé dans la pièce qui sert de salle à manger commune. On écoute au moment des repas les radios allemande, italienne, anglaise, américaine et française. Il faut reconnaître la libéralité d’une mesure qui permet à ces internés de vivre en pensée avec le monde extérieur.

Pour ma part, je partageais mon temps entre diverses occupations : lecture de livres empruntés à la bibliothèque et de journaux allemands, en vue de réveiller mes souvenirs de jadis et de me perfectionner dans la langue ; promenades sur le chemin de ronde en guise d’exercice physique ; longues conversations avec la plupart des personnes présentes.

M. Daladier racontait comment s’étaient déroulés les préliminaires du procès de Riom, et l’effondrement qu’il eût marqué pour d’autres, sinon pour les accusés, si on l’avait laissé se poursuivre jusqu’à son terme. M. Paul Reynaud a écrit l’histoire de tous les événements auxquels il a été mêlé ; cet ouvrage est en lieu sûr et sera publié. Le général Gamelin, que je n’avais pas vu depuis juin 1940, me refait l’historique des rudes événements de cette époque tels qu’ils lui apparaissent ; il s’efforce d’assigner à chacun la part de responsabilité qui lui revient. M. Borotra, toujours plein de fougue, compagnon charmant, qui apporte dans ce milieu naturellement triste sa gaîté naturelle et son charme personnel, me raconte son existence de commissaire général aux sports et à l’éducation physique, ainsi que les conditions de son départ du commissariat et de son arrestation ; c’est