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ma déportation en allemagne

Nous sommes accueillis par le commandant dudit château, le capitaine V… Sont venus de Berlin pour nous recevoir le chef de service docteur H… et son adjoint. Après avoir traversé une petite cour fermée de murs à meurtrières, nous pénétrons à l’intérieur de l’immeuble. Nous sommes aussitôt rejoints par la douzaine d’occupants qui nous y ont précédés parmi lesquels ; MM. Daladier, Paul Reynaud, général Gamelin, président italien Nitti, Jouhaux, Borotra.

On devine notre étonnement à tous de nous trouver ainsi réunis, d’origine si diverse, en ce lieu étrange. On nous affecte à chacun une chambre ; M. François-Poncet et moi nous prenons possession de notre nouvelle résidence.

Qu’on imagine un éperon s’avançant en pointe, entouré de précipices de trois côtés et relié à la colline voisine par le quatrième côté. À son extrémité, les murs en ruines d’un vieux burg dominant la vallée. En son milieu, une grande bâtisse en forme de donjon, à trois étages, avec une vingtaine de chambres.

On a tout loisir d’aller et de venir, le jour, à l’intérieur du mur de ronde qui enclôt l’éperon. Au milieu, une petite cour où on peut se promener. Le régime de la maison est acceptable. La nourriture y est suffisante. Le menu est d’ailleurs parfois agrémenté de divers produits envoyés de France par colis et qu’on met en commun à la popote. Les fumeurs ont une ration de tabac normale. À noter qu’un jour par semaine règne le ein topf, plat unique composé d’une soupe de légumes, abondante et épaisse ; elle suffit à apaiser la faim pendant vingt-quatre heures. C’est tout ce qu’on en peut dire.

Si les lettres et les colis n’étaient pas systématiquement retardés et ne mettaient pas quatre ou cinq semaines pour venir de France, on n’aurait pas trop sujet de se plaindre, surtout en comparaison des régimes qu’ont eu à supporter plusieurs des personnes présentes avant de venir ici, notamment aux camps d’Oranienburg, de Dachau, etc., et d’une manière générale tous les déportés.

Les détenus partagent leur temps entre la lecture, le travail et les exercices physiques. Une véritable bibliothèque a été constituée où se trouvent de nombreux livres : histoire,