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témoignage


s’ajouter à toutes celles que supportaient nos compatriotes, elle jouerait son petit rôle dans le redressement espéré de la patrie.

Rien, à vrai dire, ne décelait la guerre dans les campagnes allemandes, sinon le grand nombre de soldats permissionnaires aperçus dans les trains, dans les gares et sur les routes. Les voyageurs étaient calmes, plutôt résignés. Pas de morgue, pas de chants. Dans les gares, des femmes en uniforme distribuaient l’ersatz de café aux soldats et aux enfants. Sur les voies ferrées, des équipes nombreuses d’ouvriers plutôt jeunes, des prisonniers de guerre sans doute, travaillaient à l’entretien. En somme, tout donnait l’impression d’un pays ordonné, discipliné, où chacun accomplissait sa tâche sans passion, par devoir.

À l’arrivée à Munich, une auto nous attend avec deux nouveaux agents. On charge nos bagages et nous voilà partis. Nous empruntons l’autostrade qui va vers le sud, dans la direction de Salzbourg. Nous demandons où l’on nous conduit. Une fois de plus, réponse par le silence.

C’est une route vraiment magnifique que cette autostrade avec ses deux voies de dix mètres de large, séparées par une pelouse, filant tout droit sur près de cent kilomètres, avec des passages en dessus et en dessous tous semblables à la rencontre des routes et des chemins transversaux. À la longue d’ailleurs, on se fatigue de cette monotonie ; on en vient à regretter les montées, les descentes, les tournants, les traversées de villages.

À Rosenheim, nous quittons l’autostrade ; nous nous engageons sur une route conduisant vers Kufstein, d’après les poteaux indicateurs. Kufstein renferme un vieux château transformé en prison que nous apercevons à l’horizon. Nous vivons quelques minutes d’angoisse ; mais voici que nous avons dépassé la bifurcation qui y conduit et nous continuons à rouler. Nos gardiens semblent hésiter sur la route à suivre. Enfin, nous nous engageons sur un chemin vicinal qui grimpe dans une gorge étroite et nous voici soudain traversant le pont-levis d’un château-donjon dressé sur un piton plate-forme dominant toute la vallée. C’est là que nous devons désormais résider, nous sommes au château d’Itter.