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ma déportation en allemagne

Bien entendu, chaque fois que nous demandions : « Où allons-nous ? » la réponse était toujours la même : « Nous l’ignorons. » Nous pouvons témoigner de la discrétion et de la discipline de tous les agents du S. D. auxquels nous avons eu affaire.

Le jeudi 2 septembre, vers 18 heures, le chef nous emmena dans son auto. Nous comprîmes bientôt que nous allions vers la gare de l’Est. Un compartiment nous était réservé dans le train de Paris-Nancy-Strasbourg-Munich. Deux nouveaux agents du S. D. en civil nous y attendaient. Tous ces déplacements s’accomplissaient avec toute la discrétion possible ; personne ne s’apercevait de notre présence.

Le voyage fut sans histoire. Nous arrivâmes le lendemain à Munich vers 15 heures. Cette fois encore, M. François-Poncet conversa longuement avec les deux agents du S. D. Il obtint d’eux un certain nombre de renseignements intéressants sur l’organisation des diverses polices en Allemagne et sur l’état d’esprit de la population civile. Eux-mêmes essayaient de savoir de lui ce qu’on pensait en France de la durée de la guerre, de sa terminaison, etc… Bien entendu, il se montrait très réservé, car on pouvait penser que tout ce que nous disions serait consigné dans un rapport et communiqué au siège central du S. D.

Je dormis peu cette nuit-là. Me retrouver après quatre années d’absence sur cette voie ferrée que j’avais parcourue si souvent jadis et m’y retrouver entre deux gardes comme un malfaiteur ; revoir ces gares de Meaux, Château-Thierry, Épernay, Châlons-sur-Marne, Bar-le-Duc, dont je connaissais par le menu toutes les installations ; traverser au cœur de la nuit ma chère ville de Nancy, noire et silencieuse ; retrouver au petit matin dans la brume Strasbourg où j’étais venu souvent depuis 1918, et notamment deux fois comme président de la République, franchir le Rhin sur le fameux pont qui se trouvait jadis à la limite du pays de la liberté, traverser ensuite les villes et les campagnes allemandes du duché de Bade, du Wurtemberg et de la Bavière, Carlsruhe, Stuttgart, Ulm, Augsbourg et Munich, quels sujets de méditation et de tristesse ! Une seule consolation me soutenait : la souffrance bien imméritée qui m’était imposée viendrait