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ma déportation en allemagne

était venu trouver mon gendre. Il lui avait dit qu’il avait été chargé de veiller sur moi et d’empêcher éventuellement mon enlèvement de Vizille. Il demandait s’il ne pourrait pas placer un poste de surveillance secrète dans l’usine. Mon gendre lui avait répondu que cela ne pourrait se faire dans le secret ; les ouvriers circulaient en effet dans l’usine. Il suggérait de placer le poste dans le parc du château, par delà le mur de clôture, vis-à-vis la porte d’entrée de l’usine, car de là on pouvait voir tout ce qui se passait aux environs de la villa. C’est ce qui fut fait. Qu’arriva-t-il au juste le jour de l’agression ? Sans doute, les gendarmes en faction alertèrent la brigade qui envoya le gendarme dont il a été parlé plus haut ; mais il arriva trop tard. Je m’en félicitai d’ailleurs, car s’il était venu plus tôt et avait esquissé une résistance, les agents de la Gestapo n’eussent pas manqué de faire usage de leurs armes et des victimes fussent restées sur le terrain.

b) Je me suis demandé, depuis ces événements, quel avait été le rôle des Italiens en tout cela. Notre enlèvement avait-il été réalisé d’accord avec eux ou à leur insu ? Au début, j’avais pensé qu’une entente avait existé entre eux : le colonel d’état-major me prévenant qu’en cas de départ des Italiens, les Allemands les remplaceraient, l’arrivée de ces derniers à Vizille, venant de Lyon, peu de temps après la relève de la garde italienne, un soldat du poste italien guidant l’auto allemande vers mon domicile, tout cela semblait bien indiquer un accord au moins tacite entre eux. Mais, d’autre part, j’ai recueilli l’avis contraire de M. François-Poncet. Celui-ci en effet, en même temps que le colonel m’apportait la nouvelle de ma libération, avait été convoqué à Grenoble par le général di Castiglioni qui avait désiré lui communiquer lui-même la décision du gouvernement italien. Il l’avait fait dans les termes les plus aimables, en ami plutôt qu’en adversaire. Il avait ajouté que, si les troupes italiennes quittaient un jour leur zone d’occupation en Dauphiné, il ne manquerait pas de l’en prévenir pour lui permettre de se retirer avec elles. Il était prudent, d’après lui, d’échapper à l’emprise allemande.

Après réflexion, je me dis que la thèse de l’ambassadeur était probablement conforme à la vérité. On a lu dans la