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témoignage

voiture tourna à droite sur les quais ; je compris que nous allions vers la Tronche pour prendre M. François-Poncet. De fait, l’auto suivit la voie du tramway, mais à un moment donné, à ma grande satisfaction, elle se trompa de chemin, se dirigeant vers Montfleuri. Le chef des S. D. se tourna vers moi, me demandant si nous étions dans la bonne voie pour aller à la Condamine, propriété où habitait l’ambassadeur.

— Je suis venu très peu par ici, dis-je, j’ignore la route précise à suivre.

Il donna l’ordre de s’arrêter, interrogea un passant qui nous remit dans le bon chemin et, quelques minutes après, la voiture s’arrêtait devant la villa.

La même scène, que je devinai plus que je ne la vis, étant resté dans la voiture sous la garde d’un des agents, se reproduisit et aussitôt M. François-Poncet, très calme et très digne, suivi de sa femme et de ses enfants, atterrés comme l’avaient été les miens à Vizille, venait me rejoindre, et nous prenions à toute vitesse la direction de Lyon.

Il y avait dans la voiture, au premier rang le conducteur et le chef de l’expédition ; sur les strapontins au deuxième rang, M. François-Poncet et un soldat armé d’une mitraillette ; au troisième rang moi-même, entre deux agents également armés. Les ravisseurs jetaient parfois un coup d’œil inquiet en arrière. Ils ne furent rassurés qu’après la sortie de Voreppe. Alors, un sourire s’épanouit sur leurs visages ; les mitraillettes dressées vers les fenêtres de la voiture furent abaissées, les cigares et cigarettes allumés. Le coup avait réussi, on pouvait rire maintenant.

Je compris alors la hâte qu’on avait mise à l’exécuter. Il s’agissait de nous enlever avant que les polices française ou italienne fussent alertées, car la Gestapo n’avait pas théoriquement le droit d’opérer en territoire occupé par les italiens ; en fait, elle ne s’en privait pas. Cela avait déjà donné lieu à maintes discussions entre les autorités allemandes et italiennes.

Il convient d’ouvrir ici deux parenthèses avant de poursuivre le récit :

a) Au moment où la question du transfert à Florence s’était posée, le chef de la brigade de gendarmerie de Vizille