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ma déportation en allemagne

peu, je me serais laissé aller à un mouvement de violence. À un moment donné, je dis :

— C’est une indignité de traiter ainsi un ancien chef d’État !

— Vous n’êtes plus rien, reprit-il, nous ne connaissons que le maréchal Pétain.

Quelle dérision et quelle tristesse de s’entendre jeter à la face un tel nom par un gangster d’outre-Rhin !

Enfin la scène prit fin. Au moment de partir, je voulais embrasser mes petits-enfants.

— Non, pas d’enfants, cria-t-il.

— Si ! protesta ma femme, le président ne partira pas sans les embrasser.

Et elle courut les chercher dans la chambre voisine où, inconscients du drame qui se jouait à côté d’eux, ils riaient à gorge déployée. Encadré de mitraillettes, je gagnai l’avenue où stationnait l’auto allemande.

La voiture démarra à toute allure. À peine avions-nous parcouru quelques centaines de mètres que nous croisions une autre auto venant à toute vitesse en sens inverse. Un gendarme français était debout sur le marche-pied et nous faisait le signal d’arrêt.

Franzosen ! s’écria le chef du S. D. tout surpris de cette rencontre.

Il donna l’ordre au conducteur d’accélérer la marche. Nous passâmes devant la Caisse d’épargne où était cantonné le poste de garde italien. Le soldat qui avait été pris au passage pour guider l’auto vers la villa de ma résidence fut invité à descendre, et la voiture s’engagea rapidement dans la grande rue de Vizille.

À un moment donné, l’agent qui était assis à ma gauche tendit au-dessus de ma tête le pardessus que j’avais sur le bras pour me cacher aux regards des passants qui auraient pu me reconnaître. D’un coup de poing bien assené, je lui fis lâcher prise. Il réitéra son geste ; je lui appliquai un nouveau coup de poing encore plus violent, ce que voyant le chef des S. D. l’invita à ne pas insister et la voiture roula à toute allure vers Pont-de-Claix et Grenoble.

Après la traversée de l’Isère au pont de la Bastille, la