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ma déportation en allemagne

Le 16 août, un officier me confirma que le gouvernement italien avait été saisi de ma requête. Il n’y avait qu’à attendre le résultat. Rien ne pressait.

Le 20 août, ce même officier m’annonça que l’autorité renonçait à mon transfert à Florence. J’en pris acte tout en remerciant.

Depuis, j’ai réfléchi à tous ces événements. J’ai parfois regretté d’avoir résisté au projet florentin. Avec M. François-Poncet, nous avons pensé que c’était une façon de nous soustraire à l’emprise allemande. On devait nous garder avec les membres de notre famille dont nous aurions désiré être accompagnés. C’eût été assurément un régime plus doux que celui de l’internement en Allemagne. Il est vrai qu’un doute demeure sur ce que nous fussions devenus plus tard au moment des événements dramatiques d’Italie, et de la prise de possession de l’Italie du Nord par les Allemands. Sans doute, on nous eût transférés dans la zone sud. En aurait-on eu le temps et les moyens ? autant de mystères auxquels on ne peut répondre avec certitude.

Le 27 août, vers 10 h. 30, le colonel apparut une fois de plus. Je dois dire que je lui trouvai un air étrange, gêné. Il m’annonça que son gouvernement avait décidé de supprimer la surveillance de mon domicile ; j’étais désormais libre d’aller où il me plaisait. Il ajouta :

— Je dois vous prévenir que si un jour plus ou moins prochain les Italiens sont amenés à quitter l’Isère, ils seront remplacés par les Allemands.

Et il se retira.

Je ne fus pas long à réaliser la situation. Certes, l’annonce de ma liberté recouvrée m’avait très agréablement impressionné. Mais la perspective dessinée au même instant des Allemands à l’horizon m’avait troublé. Comme si je devinais ce qui allait arriver, je montai à l’étage où se trouvait ma femme. Je lui racontai ce qui venait de se passer et j’ajoutai :

— Je devrais être bien heureux. Pourtant, je ne suis pas rassuré. Cette évocation des Allemands par les Italiens au moment où ils se retirent me semble de mauvais augure.