Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/154

Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
témoignage

que je pouvais effectivement circuler dans tout le jardin. À partir de ce jour, je me promenai dans l’ensemble de la propriété, sauf dans la partie voisine de l’usine où se trouve un dépôt de matériaux.

En fait, ces mesures étaient prises — le préfet m’en a fait l’aveu — par les Italiens à la demande des autorités allemandes. D’ailleurs j’avais appris entre temps qu’un gendarme allemand était allé à Mercy-le-Haut, mon village lorrain, pour savoir si je m’y trouvais.

La plus grande partie de l’été se passa sans incidents. Je me disposais à entrer en rapport avec l’autorité d’occupation pour pouvoir me promener sur le territoire de Vizille, quand, au soir du 13 août, le colonel chef d’état-major se présenta à nouveau à la villa et m’annonça que le gouvernement italien avait décidé mon transfert à Florence.

J’avoue que, sur le moment, je ne pus maîtriser un mouvement de colère :

— Qu’est-ce encore ? dis-je. Il ne vous suffit pas de me faire souffrir et de m’atteindre dans ma santé en m’empêchant de sortir. Eh bien ! non, je n’accepte pas. Vous ne m’aurez que par la force. Il vous faudra me faire violence.

Le colonel, je dois le dire, me parut surpris et affecté. J’ajoutai :

— L’ordre me concernant a été donné par l’odieux régime mussolinien que l’Italie vient heureusement de répudier. Je désire savoir si le maréchal Badoglio prend la responsabilité de cette mesure.

Et je rappelai qu’en 1935, j’avais accueilli aux grandes manœuvres françaises en Champagne le général Badoglio, alors chef d’état-major général de l’armée italienne, que je l’avais accompagné pendant son séjour, lui prodiguant attentions et marques de sympathie. Donnait-il son assentiment à la mesure rigoureuse prise contre moi ? Je désirais le savoir.

Le colonel, toujours fort ému de ma réaction, se retira en promettant que le nécessaire allait être fait.