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ma déportation en allemagne

Emporté par un mouvement d’humeur, je répliquai :

— Je ne le respecterai pas. Rien ne m’empêchera de sortir et de me promener dans le jardin.

— En tout cas, pas jusqu’à demain matin.

— Soit ! dis-je, cela ne me gêne pas d’attendre jusqu’à demain matin.

Et l’officier se retira. En même temps, une dizaine de soldats montaient la garde aux portes mêmes de la villa, devant les fenêtres de la salle à manger et du salon, d’autres surveillaient les abords.

La soirée fut fiévreuse ; cette expression « pas jusqu’à demain matin » avait pu faire allusion à un départ prochain. Mais la nuit fut calme. Rien ne vint la troubler que le bruit des conversations des sentinelles postées autour de la villa. Le lendemain matin, l’officier italien revint et m’annonça que j’étais autorisé à circuler librement dans le jardin.

Commença alors un régime où je pus me promener à loisir mais seulement sur la plate-forme élevée où est bâtie la villa, non dans le jardin plus vaste qui l’entoure et qui comprend trois autres villas, une petite ferme et un jardin potager. Quatre groupes de deux soldats gardaient les quatre escaliers conduisant à la plate-forme. Six autres étaient aux deux portes de la propriété avenue Aristide-Briand et avenue Victor-Hugo.

Ces soldats avaient d’ailleurs une tenue déplorable. À l’aller et au retour de leur poste situé à la Caisse d’épargne, ils marchaient à la débandade au lieu d’être alignés dans le rang. En faction, ils déposaient leur fusil sur le sol et se couchaient dans l’herbe à l’ombre des platanes. La direction de l’usine dut même placer des écriteaux interdisant l’accès des pelouses. Les soldats avaient plus souci de s’amuser avec les enfants jouant dans le jardin et de faire des échanges avec eux (chocolat contre tabac, etc…) que d’accomplir strictement leur service.

Dans ma pensée, l’autorisation m’avait été donnée de me promener dans tout le jardin et non seulement sur la plate-forme entourant la villa. Je priai le préfet de faire reconnaître le fait par l’autorité italienne. Un officier vint examiner les lieux. Quelques jours après, on me fit connaître