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témoignage

de ces violations flagrantes de la convention d’armistice, notre pays recouvrait sa liberté. Son chef eût pu et dû gagner l’Algérie et là, soit proclamer que la France rentrait dans le combat, soit résilier ses pouvoirs et confier à des mains plus jeunes le soin de poursuivre la bataille.

Je sais de source sûre que d’anciens compagnons de la guerre 1914-18 parvinrent à accéder jusqu’à lui et à le convaincre que tel était son devoir. Un avion l’attendait sur l’aérodrome de Vichy, prêt à prendre l’envol.

Malheureusement, un entourage néfaste veillait à ses côtés, objectant qu’à son âge son cœur ne pourrait pas supporter l’épreuve de l’air.

Par ailleurs, le président Laval était trop attaché à sa néfaste politique, il avait trop affirmé son espoir de la victoire allemande pour changer son fusil d’épaule. Lui aussi dut sans doute faire frein à la volonté d’évasion du maréchal observant par surcroît que le geste auquel on le poussait était celui-là même qu’il avait rejeté en juin 1940, et que ce serait s’infliger un cruel démenti.

Bref le maréchal resta à Vichy pour y recevoir l’insolente visite de von Rundstedt chargé de lui notifier les volontés du chancelier Hitler.

Lorsque le chef de l’État disait dans son message du 26 juin 1940 : « Le gouvernement reste libre, la France ne sera administrée que par des Français, » quelle illusion il se donnait à lui-même et au pays ? Il a dû l’éprouver à maintes reprises jusqu’à ce matin sinistre du 20 août 1944 où, sous la sommation de M. de Renthe-Fink et du général von Neubronn pénétrant par la violence dans son appartement de l’hôtel du Parc, il dut se constituer prisonnier et, sous la protection de la Wehrmacht, gagner Belfort et ensuite l’Allemagne.

Quelle immense détresse dut être la sienne ce jour-là !

J’avais vécu aux côtés du maréchal les grandes heures de sa vie.

J’avais assisté à Metz, en décembre 1918, à la remise par Poincaré du bâton de maréchal au glorieux commandant de l’armée française de la victoire, en présence des chefs des armées alliées, au pied de la statue du « brave des braves » ;