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de paris à bordeaux et à vichy

Rien n’était donc moins sûr à l’automne de 1940 que la victoire de l’Allemagne. Jouer cette fausse carte, c’était pour la France, en dehors même des considérations morales et patriotiques qui auraient dû y faire obstacle, courir un risque dont les événements ont depuis révélé l’existence.

Le maréchal a cru, par ailleurs, qu’en interposant sa haute personnalité avec tout ce qu’elle représentait de dignité et d’honneur entre l’occupant et la population occupée, il éviterait à cette dernière une partie des maux inhérents à l’occupation. « Je suis et resterai avec vous dans les jours sombres » avait-il dit dans son premier message. Sa pensée profonde était celle-là, ne jamais quitter le sol français, quoi qu’il advienne. « Partez si vous le jugez utile, disait-il à Bordeaux ; moi, je reste. On n’abandonne pas un peuple meurtri ; on est à ses côtés pour le protéger, pour le défendre. »

Dans son message aux Français du 20 août 1944, au moment où il s’éloignait de Vichy, sous la contrainte brutale de l’Allemagne, il disait encore, résumant ainsi son action passée : « Je n’ai eu qu’un seul but, vous protéger du pire. Tout ce qui a été fait par moi, tout ce que j’ai accepté, consenti, subi, que ce fût de gré ou de force, ne l’a été que pour votre sauvegarde. Car si je ne pouvais plus être votre épée, j’ai voulu rester votre bouclier. »

Ici encore, erreur psychologique grave. C’était mal connaître les nazis de penser qu’il pourrait en quoi que ce fût assurer la sauvegarde des Français. Tout ce que commanderaient ses intérêts, ses besoins, ses passions, l’Allemagne l’entreprendrait sans aucun égard pour le vaincu. Les événements n’allaient pas tarder à le prouver.

Dans la question cruciale d’Alsace et de Lorraine où l’on a vu imposer à un petit peuple si attachant à tant d’égards le régime le plus impitoyable qu’on puisse imaginer, le gouvernement a-t-il pu en adoucir les rigueurs ? Sans doute, il a adressé aux autorités d’occupation une protestation restée secrète, donc de nul effet. Il eût fallu pour le moins une proclamation publique véhémente en appelant au monde des violations d’une convention d’armistice que la France de son côté appliquait à la lettre.

Dans les questions de ravitaillement si essentielles pour