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témoignage

C’est un peu comme un enfant qui s’est fait mal en s’amusant avec un jouet mécanique. D’un geste impulsif, il le brise. Mais aussitôt il le regrette ; il en ramasse les morceaux et les porte à son père pour qu’il les recolle.

Que l’ancienne Constitution fût parfaite, qui le prétendrait ? Comme les hommes, les lois vieillissent. La Constitution de 1875 aura soixante-dix ans sonnés dans quelques mois. Ce serait miracle si elle était encore adaptée à tous les besoins du moment. Qu’une mise au point soit nécessaire, oui, mais dans le cadre général de la République démocratique.

Ce qui a compliqué la situation issue du vote de l’Assemblée nationale, c’est la durée du régime provisoire instauré par elle.

Il était admis en juillet 1940 dans les milieux gouvernementaux et militaires et dans une partie des milieux politiques que la guerre serait courte. Les campagnes de Pologne et de France avaient amené une victoire si foudroyante de l’Allemagne qu’on voyait mal une Angleterre capable de lui résister. C’était ne pas connaître l’obstination de la vieille Albion ; c’était aussi faire fi des interventions possibles, pourtant probables dès cette époque pour ceux qui savaient réfléchir, des États-Unis et de la Russie.

Trois hypothèses ont été émises sur la portée exacte de la loi du 10 juillet :

a) Cette loi réalise hic et nunc l’abolition des lois constitutionnelles de 1875. Dès lors s’ouvre une période pour laquelle le maréchal est habilité à organiser un régime intermédiaire, sorte d’embryon de la future Constitution. Mais toute nouvelle disposition doit recevoir, avant sa mise en vigueur, l’adhésion de la nation qu’on ne peut solliciter dans les circonstances présentes. De là naît un état critique qui doit retenir l’attention du gouvernement ;

b) La Constitution de 1875 demeure en principe, mais son application est suspendue. Dans ce cas également des actes constitutionnels doivent intervenir pour la période intermédiaire ;

c) La Constitution de 1875 reste en vigueur jusqu’à la nouvelle Constitution puisque aussi bien toute disposition