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de paris à bordeaux et à vichy

magnifique, désireuse de se battre, anxieuse de jouer un rôle dans le grand drame où se débattait la France.

Pourquoi dès lors Darlan a-t-il osé se donner un démenti à lui-même en parlant de fuite ? C’est qu’il s’est laissé envoûter par une presse infâme qui, depuis l’armistice, devant une censure veule et complice, a répandu sur tous les événements de l’époque un voile de mensonge.

Et aujourd’hui que dirait-il, si un drame effroyable n’était venu arrêter sa destinée, si, ayant accueilli sur terre africaine, les Alliés du début de la guerre, il prenait part à la croisade de libération de la France ? Quel démenti à sa propre accusation puisqu’il avait accompli lui-même le geste que méditait le gouvernement en juin 1940 pour poursuivre le combat ! Quel retour des choses ! Quelle fierté pour les partisans de la résistance d’alors de penser que le plan qu’ils avaient conçu se réalise et prend sa place dans l’œuvre de libération du monde !

Aussi bien, puisque l’amiral Darlan a payé de sa vie le geste de courage accompli en dernière heure, paix à ses cendres, oubli de ses propos blâmables ! Que du moins soient effacées les traces qu’ils pourraient laisser dans une Histoire insuffisamment soucieuse de la vérité.

Pendant mon séjour en Dauphiné, bien des occasions de distraction s’offraient à moi. Il me suffisait de suivre une des nombreuses voies traversant Vizille pour rencontrer une nature magnifique : ici l’Oisans avec sa route serpentant dans la vallée de la Romanche jusqu’au Lautaret, entre les hauteurs de l’Alpe d’Huez et les glaciers de la Meije ; là, le massif de la Grande-Chartreuse avec ses forêts superbes de sapins, de hêtres et de chênes ; là encore les plateaux du Vercors aux rivières encaissées et aux grottes profondes.

J’avais beau faire. Ma pensée me ramenait sans cesse vers ce passé de mai, juin, juillet 1940 marqué de si terribles événements et vers les mois plus proches où la France connaissait misères et humiliations.

Trois questions s’imposaient obstinément à mes réflexions :