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de paris à bordeaux et à vichy

J’aurais aimé rencontrer l’amiral au lendemain de la guerre et lui demander compte de tels propos. Il est mort dans des conditions dramatiques qui, quelque opinion qu’on ait à leur égard, ont trouvé dans les cœurs français un écho profond.

Pourtant, ses paroles et ses actes en tant que chef du gouvernement appartiennent à l’histoire. Ceux qui y ont été mêlés ont le droit et même le devoir d’apporter leur témoignage personnel en vue de précisions et de rectifications destinées à faire apparaître la vérité.

Ainsi donc, d’après Darlan, lorsque la France, fidèle aux amitiés nouées pendant la grande guerre avec l’aide desquelles elle était parvenue à la victoire, s’efforçait de maintenir ces peuples dans un même faisceau de forces, sentant bien qu’elle pourrait en avoir besoin un jour prochain contre l’ennemi qui ne cessait de réarmer, lorsqu’elle poursuivait cette politique presque unanimement approuvée par les deux Chambres, elle faisait une politique « incohérente » ! En vérité, c’est pitié de recueillir sur les lèvres d’un homme qui eut en main les destinées du pays une pareille appréciation.

Mais, à supposer qu’elle soit fondée, comment admettre que l’amiral qui jugeait si mal le gouvernement de son pays, soit resté pendant de longues années, comme directeur du Cabinet et comme chef d’état-major général, le plus intime collaborateur des divers ministres de la Marine, qu’il n’ait pas hésité à servir des chefs d’opinions diverses, tels que le grand et bon républicain Georges Leygues, à qui notre marine doit tant, le modéré Piétri, le radical Campinchi, le radical-socialiste Gasnier-Duparc ? Ne devait-il pas, convaincu que la politique à laquelle il était associé conduisait le pays à sa ruine, profiter d’un changement de ministère — les occasions ne lui ont pas manqué — pour s’éloigner de la rue Royale et réclamer un commandement à la mer, vraie place d’un marin ?

Pour ma part, pendant mes huit années de présidence, j’ai reçu plusieurs fois la visite de l’amiral, notamment pour la préparation de mes voyages dans des ports de mer. Je n’ai jamais entendu de lui la moindre critique de la situation.