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témoignage

sérieusement — on l’a bien oublié dans les fiertés de la victoire — le repli sur la Loire, comme cela fut fait en 1940. J’avais encore dans les oreilles les paroles du général Foch à Doullens après la défaite tragique de la 5e armée anglaise : « Je me bats devant Amiens, je me bats dans Amiens, je me bats derrière Amiens, je me bats partout, » paroles magiques qui relevèrent les courages et ramenèrent la victoire. J’entendais aussi les propos enflammés du Tigre quand il était question pour le gouvernement de quitter Paris après la désastreuse affaire du Chemin des Dames : « Oui, les Allemands peuvent prendre Paris, cela ne m’empêchera pas de faire la guerre. Nous nous battrons sur la Loire, puis sur la Garonne s’il le faut et même sur les Pyrénées, Si enfin nous sommes chassés des Pyrénées on continuera la guerre sur mer et en Afrique, mais quant à faire la paix, jamais ! Qu’ils ne comptent pas sur moi pour cela. »

On le voit, l’idée d’aller planter le drapeau de la résistance dans la blanche Alger, cette magnifique capitale de la nouvelle France, n’avait rien de romantique. Elle n’était qu’une réminiscence.

Oui, j’ai beaucoup réfléchi à tous ces événements depuis 1940. Ma conviction s’est fortifiée chaque jour que si le gouvernement de 1918 avait eu entre ses mains le sort de la France de 1940, il n’eût pas hésité à poursuivre la guerre malgré les risques que comportait une telle détermination.

Pauvre France, hélas ! Sa mentalité avait bien changé depuis 1918. Beaucoup considéraient alors comme des lâches, comme des « faux-fuyards » pour reprendre une expression échappée d’une plume aussi fine qu’irrévérencieuse, ceux qui entendaient utiliser les ultimes ressources du pays pour tâcher de ressaisir aux côtés des Alliés une victoire qui n’avait pas encore choisi son camp. Ceux-là seuls représentaient la sagesse et le patriotisme qui voulaient mettre bas les armes, se rendre à l’ennemi et accepter ses conditions dont on était sûr à l’avance qu’elles feraient de la France une esclave.

Que penser quand on lit les lignes ci-après dans une déclaration déposée à l’Assemblée nationale à Vichy en juillet 1940