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de paris à bordeaux et à vichy

la poursuite de la guerre. Le télégramme du général Noguès surtout était impressionnant. C’est une des plus belles pages que j’aie lues, inspirée du plus ardent patriotisme. Il dit qu’on ne se rend pas compte au gouvernement de l’état d’esprit des populations indigènes et de l’armée. Elles veulent se battre. Si on ne modifie pas les ordres qui lui ont été donnés, il s’inclinera mais ne pourra agir que le rouge de la honte au front.

Au Conseil des ministres où furent lus ces télégrammes et particulièrement celui du général Noguès, ce fut un débordement de mauvaise humeur.

C’est intolérable, disait-on, de voir bafouer les ordres du gouvernement. Puisqu’il en est ainsi, dissolvons le groupement des armées d’Afrique, et que le général Noguès retourne à son poste de résident général à Rabat, ce qui fut fait aussitôt.

J’avoue que je ne pus m’empêcher de prendre la défense de ces bons serviteurs du pays contre leurs ministres, un peu honteux sans doute de recevoir de leurs subordonnés des leçons de courage et de confiance dans les destinées de la Patrie.

On dira peut-être que ces chefs de colonies ne connaissaient pas la vraie situation militaire en France et qu’ils n’avaient pas qualité pour juger de la conduite à tenir.

Or ils avaient appris par la radio la demande d’armistice ; ils étaient assez avisés pour penser qu’elle n’avait pu être présentée qu’après des revers graves, et cependant ils réclamaient tous, sans s’être donné le mot, le privilège de poursuivre la lutte.

Pour ma part, en cette occasion comme en toutes autres, pour trouver ma voie parmi tant de troubles et d’incertitudes, je me reportais à mes souvenirs de l’autre guerre toujours si présents à ma mémoire. Je me disais : que penseraient nos chefs d’alors s’ils étaient à notre place, les Poincaré, les Clemenceau, les Foch ? Que feraient-ils ?

J’avais connu, comme ministre du Cabinet Clemenceau, les tristes journées du printemps et de l’été de 1918 où, à la suite des revers éprouvés par les Alliés sur la Somme et au Chemin des Dames, le gouvernement avait envisagé très