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témoignage

— Soyez sans souci à mon égard. J’ai été toute ma vie le serviteur fidèle de la loi, même quand elle n’avait pas mon adhésion morale. Je n’éprouve aucune gêne à lui obéir une fois de plus. L’Assemblée nationale a prononcé. Tous les Français doivent se soumettre.

Nous nous entretenons ensuite de la situation, de la constitution du nouveau ministère, de sa propre installation à Paris dès que possible, non pas à l’Élysée d’ailleurs, tient-il à préciser.

La question des relations avec l’Allemagne nous préoccupe aussi. Je dis, prononçant pour la première fois une parole reprise souvent plus tard : « Ou bien le vainqueur saura « dominer sa victoire », et avec beaucoup de bonne volonté de part et d’autre, la vie sera peut-être possible ; dans le cas contraire, une lutte sourde et clandestine s’organisera, ce sera la résistance. »

« Dominer sa victoire » pour l’ennemi, qu’était-ce donc dans ma pensée ? C’était d’abord respecter loyalement les clauses de la convention d’armistice sans les aggraver par de nouvelles exigences ; c’était aussi, dans l’application qui en était faite par la commission d’armistice, jouer franc jeu et ne pas écraser la France sous des charges insupportables ; c’était enfin, dans l’administration de la zone occupée, se montrer simplement humain et ne pas imposer à tout un peuple des obligations et des restrictions hors de toute mesure.

Or, dans ces divers domaines, l’Allemagne a fait preuve dès le début d’une rigueur et d’une dureté injustifiables.

Elle a appliqué à l’Alsace et à la Lorraine un régime odieux de servitude : expulsion des fonctionnaires, interdiction de parler le français, enrôlement des enfants dans les jeunesses hitlériennes, déportation ou internement dans des camps allemands de toutes les personnes gardant quelque sympathie à la patrie, enrôlement des hommes dans les armées d’outre-Rhin et envoi sur le front russe contrairement au droit des gens.

On a dit quelquefois, pour justifier la politique de collaboration inaugurée à Montoire, que la France ayant signé la convention d’armistice, ne pouvait sans manquer à l’hon-