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de paris à bordeaux et à vichy

dace, Flandin et Mistler, députés. Ils me disent se présenter au nom d’un groupe de parlementaires qui vient d’en délibérer. Ils me demandent de donner ma démission de président de la République.

Certes, je ne m’attendais pas à une telle proposition de leur part. Si je m’étais abandonné à mon premier mouvement, je l’aurais rejetée avec violence. Bien décidé à garder mon calme dans les situations les plus critiques, j’engage la conversation.

Leur proposition me surprend. A priori, il ne me paraît pas possible de l’accepter. Je vais y réfléchir et, comme il convient, prendre conseil des présidents du Sénat et de la Chambre des députés.

J’insiste quand même sur l’étrangeté de leur démarche. Ils me disent que mon départ volontaire est plus honorable pour moi. Ils ajoutent que, dans la situation tragique actuelle, mon effacement serait chose très utile qui pourrait avoir d’heureux effets. Il faut éviter toutes causes de résistance et de trouble. Ils évoquent à l’horizon, de manière discrète mais tout de même sensible, la division reconstituée en hâte à Clermont-Ferrand et qui défile parfois sur la place de Jaude au milieu de manifestations populaires.

Voilà où on en était venu. Cela donne une idée du trouble des esprits dans cette atmosphère malsaine de Vichy. Un ancien président du Conseil, un vice-président (ou ancien vice-président) de la Chambre des députés, le président d’une des grandes commissions de la Chambre faisant pression sur le chef de l’État pour l’amener à déserter son devoir. Comme il eût été commode de frapper les esprits à la veille de la réunion de l’Assemblée nationale en disant : « Hé quoi ! vous hésitez à abolir la Constitution dans ses principes essentiels, mais il n’y a déjà plus de président de la République. » (Cela est une réflexion qui m’est personnelle. Peut-être ne correspond-elle pas à la réalité.)

J’appris d’ailleurs le lendemain, par un député de mes amis, que ces trois personnalités n’avaient pas reçu la mission dont elles se disaient chargées. En fait, un groupe de parlementaires s’était bien réuni. Parmi les questions traitées se trouvait celle de la démission du chef de l’État.