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témoignage

5 juillet. — Il convient maintenant de préparer les esprits des sénateurs et des députés au vote final. Ce n’est pas une petite entreprise. Il ne s’agit de rien moins que d’abolir la Constitution de 1875 et de lui substituer un régime qui, tout en se défendant de s’inspirer d’exemples étrangers, organise en fait un système autoritaire, totalitaire, mâtiné de national-socialisme et de fascisme. Il est un certain nombre de parlementaires assez indépendants pour marquer leur humeur dans leurs propos de restaurant ou de couloir. Il faut les canaliser, les convaincre, les annihiler.

M. Laval est passé maître dans l’art de mener à bien une telle opération. Il a de grandes qualités de souplesse, de persuasion, d’intelligence. Il va les mettre en œuvre avec une habileté consommée pendant les quelques jours qui s’écoulent avant la réunion de l’Assemblée.

Les députés sont réunis au Petit-Casino. M. Laval amorce le débat par un long exposé : dirigeants indignes qui ont engagé une guerre mal préparée, intérêt de la France de pratiquer une politique de collaboration avec le Reich et d’éloignement de l’Angleterre cause de nos malheurs, vouée d’ailleurs à une prochaine défaite, défense du pouvoir civil et des Assemblées parlementaires.

Plusieurs députés prennent part au débat très houleux qui se poursuit, et parmi eux l’ancien ministre des Affaires étrangères de 1939 affirmant une fois de plus que, si ses conseils avaient prévalu, la guerre eût pu être évitée[1].

6 juillet. — Je reçois à mon cabinet la visite d’un certain nombre de parlementaires. La plupart sont résignés. Ils ont bien conscience de la gravité de la décision politique qu’on va les appeler à ratifier. Mais ils ne voient pas d’autre route à suivre que celle du sillage du maréchal. Ils sont las, découragés, sans réaction. On pressent que l’entreprise montée si habilement par M. Laval recevra l’adhésion du parlement.

Dans la soirée, séance d’information à l’usage des sénateurs dont beaucoup résistent à l’idée de sacrifier la vieille légalité républicaine.

7 juillet. — Après le dîner je reçois la visite de MM. Can-

  1. Revoir à ce sujet le chap. 1er.