Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
témoignage

ambassadeur des États-Unis, grand ami de la France. Je ne puis m’empêcher de lui dire mon regret de l’abandon où est laissé mon pays.

— Vous ne savez pas, me dit-il, à quel point nous sommes dépourvus d’armes ; nous vous avons envoyé ce que nous avions, notamment nos avions de guerre. Nous ne pouvions faire plus.

Reçu également ce soir-là dans le parc de l’hôtel la visite du maréchal Pétain et de M. Laval. Dans un propos très bref, ce dernier me met au courant de la loi qu’il élabore et qui sera bientôt soumise au Conseil des ministres. Je prends acte en attendant la présentation des textes. Le maréchal ne dit rien. Il est comme absent. Il semble se désintéresser de cette grave question.

3 juillet. — Un Conseil des ministres est convoqué d’urgence dans la matinée. Le ministre de la Marine rend compte de l’attaque dont notre flotte basée à Mers-el-Kébir vient d’être l’objet de la part de la marine britannique. J’avoue que je ne puis en croire mes oreilles. Je fais répéter la lecture des télégrammes. On en donne la source. Le fait n’est pas douteux. Il faut se rendre à l’évidence.

Comment l’Angleterre a-t-elle pu se livrer à une agression aussi injustifiée ? Elle sait le soin apporté par le gouvernement français pour soustraire notre flotte à toute emprise de l’Allemagne ; elle connaît mon télégramme au roi Georges VI, ainsi que les affirmations du maréchal et du ministre des Affaires étrangères à ses deux ministres venus à Bordeaux et à son ambassadeur ; elle a médité le texte même de l’armistice ; et malgré cela, elle ouvre le feu, après un avertissement de quelques heures, sur des navires et des marins qui, quelques jours auparavant, combattaient à côté de sa propre flotte et contribuaient à Dunkerque, au prix de la perte d’un grand nombre d’unités, à sauver l’armée britannique.

Quelle erreur psychologique ! Quel froid cela va jeter dans les relations franco-anglaises !

La vérité est que, dans cette question de notre flotte de guerre, la Grande-Bretagne a toujours fait preuve d’une très grande susceptibilité.