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témoignage

Je me rappelais notamment à cet instant mon voyage à Bordeaux le 1er mars 1918. Ministre du Blocus dans le Cabinet Clemenceau, j’avais été délégué par le gouvernement pour présider la cérémonie anniversaire de celle du 1er mars 1871 où des membres de l’Assemblée avaient élevé une protestation solennelle contre le rapt de l’Alsace-Lorraine. « Livrés, au mépris de toute justice et par un odieux abus de la force, à la domination de l’étranger, nous avons un dernier devoir à remplir. Nous déclarons encore une fois nul et non avenu un pacte qui dispose de nous sans notre consentement… Nous attendrons, avec une confiance entière dans l’avenir, que la France régénérée reprenne le cours de sa grande destinée. »

Rencontre émouvante entre toutes. Clemenceau, chef du gouvernement à cette date du 1er mars 1918, était présent à Bordeaux le 1er mars 1871 au premier rang des protestataires.

26 juin. — Message radiodiffusé du maréchal Pétain :

« L’armistice est conclu, le combat a pris fin… Du moins l’honneur est-il sauf. Nul ne fera usage de nos avions et de notre flotte… Le gouvernement reste libre ; la France ne sera administrée que par des Français. Vous étiez prêts à continuer la lutte. Je le savais. La guerre était perdue dans la métropole. Fallait-il la prolonger dans les colonies ? Je ne serais pas digne de rester à votre tête si j’avais accepté de répandre le sang français pour prolonger le rêve de quelques Français mal instruits des conditions de la lutte. Je n’ai placé hors du sol français ni ma personne ni mon espoir. Je n’ai pas été moins soucieux des colonies que de la métropole. L’armistice sauvegarde le lien qui l’unit à elles ; la France a le droit de compter sur leur loyauté… Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal… N’espérez pas trop de l’État. Il ne peut donner que ce qu’il reçoit… »

Propos qui paraissent singuliers aujourd’hui, alors que notre flotte est au fond de l’eau à Toulon, que nos colonies passées à la dissidence à l’égard du gouvernement de Vichy sont rentrées dans la guerre pour concourir à la victoire, que jamais la France n’a vécu dans une telle atmosphère