Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/111

Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
de paris à bordeaux et à vichy

seules forces, je ne peux que rappeler à Votre Majesté les assurances réitérées qui ont été données par mon gouvernement au gouvernement britannique et selon lesquelles la flotte de guerre française ne pourra pas être employée contre la Grande-Bretagne. Je me plais à espérer que ces assurances seront de nature à maintenir le gouvernement de Votre Majesté dans la voie de l’amitié où mon pays souhaite de pouvoir persévérer. »

La preuve que des précautions suffisantes avaient bien été prises, c’est qu’un jour vint, en novembre 1942, où l’ennemi tenta de mettre la main sur notre flotte. Qu’advint-il alors ? Certes, si elle avait été aux ordres d’un commandement plus ferme en ses desseins, plus compréhensif de son devoir, elle aurait pris le large à la minute même où les Allemands envahissaient la zone libre et désarmaient nos troupes. Elle ne l’a pas fait. Elle a eu tort. Elle s’est du moins sacrifiée ; fidèle aux ordres reçus dès l’origine, elle s’est soustraite à l’emprise de l’ennemi.

J’imagine qu’en apprenant ce sabordage héroïque, nos amis anglais qui avaient jadis donné l’ordre d’ouvrir le feu sur nos navires basés à Mers-el-Kébir ont dû éprouver quelques remords.

Il semble en tout cas que l’examen à tête reposée de tous les éléments de la cause devrait éviter d’élever des griefs qui, à travers les gouvernements auxquels ils s’adressent, atteignent la France elle-même.

25 juin. — Les deux armistices entrent en vigueur à minuit.

Journée de deuil national. J’assiste avec le Corps diplomatique et les membres du gouvernement à la cathédrale à une cérémonie en l’honneur des soldats morts pour la patrie.

Instants émouvants où reviennent en foule à l’esprit les souvenirs de l’autre guerre, ceux des jours mauvais comme ceux des heures radieuses de la victoire se mêlant à ceux plus récents et autrement dramatiques de la dernière campagne. On ne peut pas se résoudre à cette dure et implacable réalité. Pourtant elle est là qui nous accable. La foule est prostrée de douleur et de désespoir.