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de paris à bordeaux et à vichy

tation grandissante. M. Dommange, notamment, indique que si le gouvernement actuel quitte la métropole, un autre se constituera qui aura le pouvoir. On parle encore de défection, d’abandon, et on se sépare.

Il paraît que j’ai serré la main de M. Laval au moment de son départ. C’est possible. J’ai voulu sans doute tempérer de quelque douceur la raideur dont j’avais fait preuve à l’égard d’un homme que j’avais appelé jadis à la présidence du Conseil, non sans en avoir éprouvé depuis quelque regret devant les erreurs politiques graves commises par lui.

Parmi les parlementaires présents se trouvait M. Landry. J’étais surpris de le voir là. J’avais pour cet ancien collègue au parlement une grande sympathie. Je l’avais apprécié notamment au Conseil d’administration de la Caisse autonome d’amortissement que je présidais et où il représentait la Chambre des députés. Il fit en sorte de sortir le dernier. Il me prit les deux mains, me les serra cordialement, voulant marquer sans doute que, bien que présent, il ne s’associait pas à la discussion qui venait d’avoir lieu et me dit :

— Monsieur le Président, faites ce qu’en votre âme et conscience vous croyez devoir faire ; ce que vous ferez sera bien fait.

J’ai gardé de cette scène, on le comprendra, de douloureux souvenirs. Au moment où les hommes au pouvoir chargés des responsabilités les plus lourdes avaient besoin de tout leur sang-froid pour diriger les destins du pays au milieu des plus effroyables obstacles, il se trouvait des élus du peuple pour les menacer et les détourner de leur devoir au lieu de leur apporter leur concours.

Est-il besoin de dire qu’une telle intervention n’avait aucune influence sur moi ? Connaissant les mobiles qui l’avaient inspirée, je ne pouvais qu’y puiser une raison de plus de persévérer dans mon attitude.

La démarche tentée auprès de moi se renouvelait dans Bordeaux auprès des parlementaires dont beaucoup arrivaient de leur province sans idée préconçue.

« La défaite est définitive, leur disait-on, vous le voyez bien. L’Angleterre nous a abandonnés. Ne vaut-il pas mieux