Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
témoignage

plupart sont faux, outranciers, inspirés par une mauvaise passion : glorifier les hommes qui, à la suite de la défaite, cherchent à s’emparer du pouvoir, et calomnier ceux qui ont eu la charge redoutable de la conduite des affaires dans les heures les plus difficiles.

La vérité est que j’avais devant moi des hommes affolés, ayant perdu le contrôle d’eux-mêmes, gesticulant, parlant tous à la fois.

À un moment donné, à M. Laval qui, criant très fort, disait du président du Sénat : « Oui, celui-là, je le hais, je le hais, je le hais ! » je dus répondre : « Parlez moins haut ; plus vous criez, moins je vous entends. »

De mon côté, je faisais effort pour rester calme malgré ma tentation bien naturelle de me mettre au diapason de mes interlocuteurs. C’est sans doute décontenancé par mon sang-froid que M. Montigny parle de mon « silence », de ma « torpeur », de ma « voix sans timbre ». Par ma froide raison qui pouvait paraître de l’insensibilité, je m’efforçais d’imposer à mes visiteurs vraiment peu en situation de discuter les graves questions qu’ils venaient traiter.

On devine ce que put être ce dialogue. M. Laval qui, ce jour-là, paraît n’avoir déjà plus le réflexe français, s’émeut que le gouvernement songe à quitter la métropole en vue de sauvegarder sa liberté et sa dignité pour poursuivre la discussion de la convention d’armistice. Pour lui, tout effort s’avère impossible. La défaite est irrémédiable. On a eu tort de faire la guerre. On est vaincu. Il faut payer. Ce n’est pas en quittant la France qu’on peut la servir. Si le gouvernement part et abandonne un peuple si malheureux, un mot viendra sur toutes les lèvres, celui de défection et même de trahison.

Je lui fais observer, ce qu’il sait bien, que je ne suis pas à moi seul tout le pouvoir. Le Conseil des ministres en délibère. À mon avis, le gouvernement, et je fais tout pour le pousser dans cette voie, doit garder son indépendance hors de la portée de l’ennemi. Je lui apporte un écho de la consultation des quatre présidents de la veille. C’est alors qu’il attaque violemment le président du Sénat.

Divers membres prennent la parole au milieu d’une agi-