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témoignage

rappelle qu’avant le départ pour Bordeaux, on avait envisagé le repli dans le réduit breton où on aurait organisé la défense pour gagner ensuite l’Angleterre en cas de besoin.

J’avoue que j’avais été opposé à ce projet. Il était manifeste que ce réduit, que ne couvrait aucune fortification permanente, ne pourrait être défendu par une armée aussi désorganisée que l’était la nôtre ; c’était donc le départ forcé au delà de la Manche. L’Algérie, terre française par excellence, me paraissait s’imposer pour offrir un asile au gouvernement.

Dans la même journée, pressé par les présidents du Sénat et de la Chambre de prendre un parti dans cette question du départ, je les réunis dans mon cabinet avec le maréchal. Ce fut la consultation des quatre présidents.

M. Jeanneney expose les raisons qui, à son sens, militent en faveur du repli. Les armées allemandes avancent d’une façon continue ; elles seront bientôt en situation d’exercer une pression directe sur Bordeaux. Comment dans ces conditions le gouvernement pourrait-il discuter librement les conditions de l’armistice éventuel ? Ne se liait-il pas les mains en restant inerte ? Se porter à Alger, ce n’était ni trahir, ni fuir, ni mentir à la position adoptée par le gouvernement. C’était lui garder cette chose indispensable : la liberté de discussion.

M. Herriot appuie la même thèse de nouveaux arguments.

J’insiste à mon tour, observant par surcroît que le ministre des Affaires étrangères a affirmé solennellement que le gouvernement renoncerait à l’armistice si l’ennemi introduisait dans la convention des conditions contraires à l’honneur comme la livraison de la flotte. Il sera trop tard pour prendre cette détermination quand l’ennemi aura occupé la plus grande partie du territoire.

Le maréchal fait sa réponse, toujours la même, car ce sera là son attitude permanente :

— Je considère qu’il est de mon devoir de rester avec le peuple français ; quoiqu’il advienne, je ne partirai pas.

Il ne fait d’ailleurs pas opposition à certains départs, encore qu’il soit difficile de concevoir le fonctionnement d’un gouvernement fractionné en deux parties ; il propose