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L’ADOLESCENCE EN BRETAGNE

n’est ni en dehors ni au-dessus de l’humanité : il s’y rattache étroitement.


Vous ne concevez pas, dites-vous, les joies et les douleurs de mon amour idéal ?… Elles sont pourtant faciles à comprendre malîçré la mysticité dont elles ne peuvent se séparer. Cet amour infini, si puissant de grâce et de poésie qu’il a le merveilleux pouvoir de créer des êtres parfaits, touche pourtant à l’humanité par quelques points, puisqu’il est en nous. Aussi le reflet du monde visible agit-il parfois sur les rêves dont il s’enivre. Alors la pensée humaine entache le passé immatériel, et le morne positif, revenant se poser à côté de l’idéalité, heurte l’élan de l’âme et la fait retomber dans les liens terrestres dont elle sedébarrassait. De là, douleur ou joie.


Certes, il ne voudrait pas qu’on prît ce genre de sentiment pour quelque exercice de cérébralité froide, mais il n’accorde non plus que ce soit l’amour ordinaire. De celui-là il se méfie : noble et lyrique précaution, ambition du jeune homme qui veut toujours s’efforcer de ne pas ressembler aux autres en s’élevant au-dessus de soi, orgueil et désir de perfection au moment où l’adolescent veut accomplir sa propre éducation. Il est aussi à cette époque inquiète de la puberté où le jeune homme se demande ce qu’il sera devant l’amour, comme il se demande ce qu’il sera devant l’avenir en tant que poète : il est nerveux, perplexe, révolté de ne pas savoir ce que la vie fera jaillir de lui ; et pour se donner alors une certitude de soi-même, on bâtit des systèmes, on prononce sur soi : on fait une différence tranchée entre le cœur et l’âme et on n’hésite pas à déclarer qu’on n’a que l’âme, qu’on n’a pas le cœur.