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LECONTE DE LISLE

plus la vie. Mais il est deux amours : l’un positif, ayant pour objet une réalité ; l’autre plus vaste, plus sublime, chantant ses créations plus belles aussi parce qu’il les a rêvées. L’un arrive à ce moment de la vie où, pressé de placer sur la première tête qu’il rencontre l’auréole de ses premières sensations, ardentes et dévouées peut-être, l’homme se passionne et se trompe toujours ; car, ainsi que toutes les passions cet amour-là ayant son terme, il laisse affreusement vide le cœur qu’il remplissait naguère. L’autre plus doux, plus frais, infini comme l’idéalité qu’il crée, est l’amour mystique, l’amour de l’âme, celui dont parle Platon.


Or, loin de vouloir prouver que ce qu’il recherche et goûte dans l’amour platonique c’est ce qu’il comporte de calme, de sérénité, d’impassibilité ou d’insensibilité, il tient à accuser tout ce que chez lui cet amour platonique détermine d’émotion humaine : il envoie ces vers à Rouffet :


Poète, j’aime aussi, mais d’amour idéale,
Un jeune cœur voilé d’une ombre virginale,
Et mon esprit créant un doux rêve, au hasard,
Chante son front brillant et son charmant regard.


Vous voyez, mon ami, que mon amour n’est pas tout à fait aussi réel que le vôtre. Cependant, croyez-le, il est des moments où j’éprouve la joie et même la souffrance d’une passion positive. J’ai mes instants de découragement et d’anéantissement aussi, et, somme toute, idéal ou réel, mon amour, si je m’y donnais sérieusement, aurait toutes les jouissances et toutes les douleurs de son positif émule.


Non, un tel amour, pour être moins directement sensuel que ce qu’on appelle communément amour,