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LECONTE DE LISLE

« L’indécision » — indécision entre la nature et la femme, entre l’école et la poésie, — est le fond de son esprit et plus encore du genre de vie, solitaire, indolente et exilée. Le jeune homme épris « de dominer » souffre de son inaction et de sa paresse : « La monotonie m’abrutit. » La lecture ne fait que nourrir ses désirs et ses regrets : son pessimisme d’alors, c’est la fatigue d’un adolescent qui lit trop et que la femme ne distrait point. Et ceux qu’il lit, ce sont les Byron, les Vigny et les Barbier. À travers leurs poèmes, la terre jeune et vierge où il naquit lui apparaît alors « vieille » — « montagnes séculaires », « vieux volcan », océan « vieux lion », « vieux soleil », « vieux monde croulant dans la foudre sacrée », de même il entre dans la vie avec la conviction infaillible que le monde est « infâme[1] ». Ce n’est pas la vie qui est chose triste, c’est la société, parce qu’elle est hostile aux poètes : conviction et découragement particuliers à la génération romantique, acceptant la souffrance comme la consécration même d’une vocation poétique.


Vous aurez beau dire, l’homme d’une nature exceptionnelle aime à être malheureux, et c’est bien facile à concevoir : des causes opposées ne peuvent nécessairement produire des effets identiques, l’âme du poète est faite d’un sentiment de douleur et d’espérance, celle de l’homme positif d’un instinct de joie et de présent : comment pourraient-elles se rencontrer ?

  1. Toutes ces expressions sont prises aux poèmes de cette époque : elles contrastent avec celles des poèmes qui décrivent plus tard la même région.