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L’ADOLESCENCE EN BRETAGNE

pagne ». Tapageurs, tous portent cape à défaut d’épée, et depuis que deux inconnus couverts de manteaux, après « avoir violé d’une façon infâme le corps d’une enfant de quinze ans, » lui ont ouvert le bas-ventre « pour constater, à ce qu’il paraît, un fait d’anatomie », ils ne peuvent traverser la ville sans être hués par la foule. Avec Paul Birgkmann Charles Leconte fait des armes, avec Houein il discute théologie, avec Lemarchand il joue de la musique. « Je me distrais, » écrit-il. Mais de quoi donc puisque ce n’est pas du travail ? D’une existence solitaire bouleversée d’inquiétudes à penser à ses parents, à son pays, à l’École de Droit, à son avenir de magistrat, à sa vocation poétique ? Il se distrait de la vie, car il n’est pas heureux.

Vivre n’est guère pour lui que tâche pénible et triste. D’où viendrait ce pessimisme intime à vingt ans (1) ? Il n’a pas souffert de sa famille puisqu’il ne cesse de regretter « ces parents chers et bons », son frère, ses amis, « doux frères », la nature de son pays où il était si heureux qu’il ne convoitait plus que gloire et génie ? Il n’était préparé à cette morbidesse ni par une éducation sentimentale, ni par des souffrances d’amour, puisqu’il ne connut guère que les enchantements éphémères d’amourettes gracieuses. De constitution il était assez robuste pour faire à pied avec des peintres des excursions en Bretagne ; la légende nous le montre pêchant des truites dans l’Ellé après des marches longues et dormant le soir dans les granges des paysans. Cette mélancolie lui vient de son caractère incertain et ombrageux à la monotonie.