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LECONTE DE LISLE

les chats et les conversations littéraires. À Dinan, s’il désirait tant se rendre à Rennes, c’est que Rouffet y habitait ; mais il vient d’en partir, petit clerc de notaire obligé de vivre de son travail d’employé. Et Leconte de Lisle a bientôt senti qu’il n’a aucune disposition pour les études juridiques.


Je n’ai pu vous écrire plus tôt, tracassé que j’étais par le droit, ignoble fatras qui me fait monter le dégoût à la gorge — et par les réprimandes absurdes de mon très honoré tonton. Enfin remords, craintes fondées pour l’avenir, abattement, ennui profond des hommes et des choses, désolation, isolement, etc., m’ont jeté dans de telles perplexités qu’il m’a été moralement impossible de vous écrire… Pardonnez-moi, je m’en vais lentement vers l’abrutissement. J’avais peut-être une intelligence ardente, de bons et généreux instincts, le désir du bien et du beau. Eh bien ! tout cela disparaît tour à tour. Et pourquoi ? Le sais-je, moi ? Ah ! il me prend parfois une envie de pleurer comme un enfant qui sent trop son impuissance.


Pendant plusieurs années, il se débat dans ces angoisses de ne savoir s’il doit, s’il peut abandonner le droit ou s’il lui est possible de tenter encore un effort pour surmonter son dégoût. Il ne sauraitoublier de longtemps ce tourment ordinaire de la jeunesse agitée entre les aspirations de l’âme et les nécessités sociales, plus nauséeux chez un adolescent indécis et passionné, timide et orgueilleux, qui a le goût fort du rêve et l’inquiétude de l’action : dans le Songe d’Hermann, nouvelle sur des étudiants, qu’il publiera plus tard, Siégel déclame avec amertume : « Mes Institutes commen-