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LECONTE DE LISLE

dements, les pantalons rouges des conscrits faisant l’exercice. Comment ne pas penser, en passant devant le collège, que l’oncle Évariste Parny y fit ses études, et, créole sensuel perdu dans une ville sans plaisirs, y prenait déjà à la lecture des Ovide et des Tibulle un fin plaisir égrillard de magistrat lettré !… Certain matin maussade où la brume est si opaque qu’on a envie, loin des hommes, de se promener solitaire sur le rivage d’une île au soleil, comment ne pas songer à Bernardin de Saint-Pierre qui, grognon, cogna de la canne sur ces « rues mal pavées » de Rennes ! Et si, avant d’aller lire à la Bibliothèque, on s’estégaré dans les ruelles tortueuses de la vieille ville où des maisons pantelantes superposent un monde fantomatique de fenêtres, d’auvents, de cheminées, de toits, comment ne pas se rappeler que c’est là que le jeune Chateaubriand, voyant une ville pour la première fois, s’émerveilla de Rennes qui lui « parut une Babylone », mais, rêvant toujours plus grand, plus large sous plus de lumière, convoitait les solitudes américaines…

Des monuments couleur de granit, des intérieurs d’église avec des boiseries de ce vieux chêne des chouans noirâtre et dur ; une odeur de tannerie rousse et acre. Mais que le soleil, à la fin du jour, dore la verdure fraîche des longues allées de tilleuls et de marronniers, le sous bois solitaire des promenades étincelle de clarté, les vieux chênes du Thabor bénédictin frissonnent d’un gazouillis d’oiseaux, l’odeur du foin coupé souffle de la campagne jusqu’au Mail ; au Jardin des Plantes, dans une limpidité nacrée d’après-pluie, de jeunes filles