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pas se consoler. C’est comme une fièvre de curiosité que rien ne peut apaiser ; perdu entre la mer et la nue, on a senti la vanité de la vie humaine, et la parcelle d’existence que l’on est, on veut à toute force l’embellir en la peuplant de tout ce que l’on voit. On regarde mieux pour mieux retenir : plus tard l’on pourra prolonger par le souvenir la minute vécue, et se souvenir, c’est vivre une seconde fois. Leconte de Lisle descend au Cap ; il va « l’explorer » ; il fait une petite rédaction où il ne craint pas de relever tout cequ’il a observé, de noter lesmoindres détails (culte, population, races, mœurs) que dédaignerait comme trop prosaïques un jeune poète d’aujourd’hui, mais qui ont toujours intelligemment intéressé Leconte de Lisle, esprit pratique minutieux et pénétrant comme le montrera entre autres son étude sur l’Inde Anglaise.

C’est, en effet, au Cap que les navires faisaient leur première station. À peine un demi-siècle, Bernardin y descendait aussi, tout au bonheur de s’approcher de plus en plus de la France où son âme ne redoutera plus les spectacles démoralisants que lui réservait aux îles la cruauté rapace des colons. L’adolescent y constate le peu de sympathie dont y jouissent les Anglais, cela non sans une satisfaction à la fois patriotique et humanitaire, — les Anglais mercantiles et oppresseurs des faibles étant l’ennemi de l’Humanité autant que de la France, — et par un sentiment analogue à celui qui dictait à la Convention décréter leur grand homme de Pitt « ennemi du genre humain ». « On y déteste tellement les Anglais, écrit-il à ses amis laissés au pays, que les