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LECONTE DE LISLE

Tu dois pardonner mon brusque départ chez Charles, je devais en agir ainsi pour nous épargner de trop pénibles moments, et ce seul moyen de les abréger nous était accordé. T’exprimer, mon ami, combien j’ai été sensible à tes regrets serait au-dessus de mon pouvoir, je ne puis que t’en remercier du fond de mon cœur.

Nous nous sommes promis de nous écrire souvent ; tenons à notre promesse, et ce sera une bien grande consolation. Je voudrais que l’immensité qui nous désunit rendît en quelque sorte notre intimité plus intime, et que nous puissions nous appliquer cette pensée de Baour-Lormian :


En vain l’absence a séparé leurs jours,
Leurs cœurs parlent encore et s’entendent toujours.


Je ne sais mon ami, si tu éprouves à mon égard les mêmes sentiments, mais je suis lié à toi par une bien forte sympathie. C’est surtout maintenant que je me trouve jeté au milieu d’hommes indifférents sur toutes les choses dont nous aimons à causer, que je sens tout le prix d’une âme qui comprenne la mienne et soit comprise d’elle. Écris-moi souvent, mon ami, je t’en supplie, ce serait bien mal de ta part si tu ne le faisais pas, mais je compte trop sur ton amitié pour en douter.

Nous sommes en vue du Cap, que je vais explorer le plus possible. Serre cordialement de ma part les mains de Charles, d’Ernest, assure-les des vifs sentiments d’amitié que je ressens à leur égard ; si je ne leur écris pas particulièrement, c’est que je ne le puis, mais aussitôt à Sainte-Hélène, je m’empresserai de le faire, avec une description détaillée de notre pèlerinage à la tombe du grand tyran.

J’oubliais de te prier, si tu vois Émile, de lui dire que je suis loin de conserver contre lui le plus léger ressentiment ; si je ne lui ai pas dit adieu en partant, c’est que