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LECONTE DE LISLE

poète qui affirma si vigoureusement la fusion « de la forme » et « du fond » dans l’expression — d’autant plus cordiale — de la pensée. Bientôt à Rennes où il affichera son insensibilité à se laisser maîtriser par l’amour, il confiera son cœur à plusieurs amis intimes. À bord du navire qui l’éloigné de l’île, c’est à ses condisciples qu’il pense le plus souvent : « Donne-moi des nouvelles détaillées de Saint-Paul et de tous les camarades, je t’en saurai gré ; depuis que je suis éloigné du cher quartier je m’y intéresse infiniment plus que lorsque j’étais obligé d’y demeurer. Allez-vous toujours fumer le poétique cigare au bord de la mer et parler politique et religion ? »

Et ces fragments d’une autre lettre :


Quant à toi, mon ami, mon frère — laisse-moi te nommer ainsi — je te crois trop persuadé de mon affection pour qu’il me soit nécessaire de te répéter que jamais elle ne s’éteindra. Ne viens donc plus me causer une peine inutile en paraissant croire que de nouvelles connaissances pourraient, une seconde, me faire oublier mes vrais, mes seuls amis ; nous nous comprenons, ô mon ami ; entre nous, c’est à la vie, à la mort ! Ah ! crois-tu donc à cette amitié d’une heure, à ce sentiment bâtard que les hommes qualifient trop souvent d’un nom sacré, oh ! non, tu n’y crois pas, n’est-ce pas ?… Tu sais trop bien que pour la véritable amitié il faut l’union intime du cœur et de l’âme ; mon ami, nous sommes donc nés l’un pour l’autre, car nos cœurs n’en font quun, et nos âmes sont sœurs.

Oh ! mon cher Adamolle, combien je regrette que notre langue ne puisse rendre l’ardeur de mon amitié !… Ah ! écris-moi souvent… tu dois comprendre tout