de monde qu’il y a de lecteurs de Leconte de Lisle dans le
pays ; par uneheureuse coïncidence, la place Leconte-de-Lisle
s’étend devant le bâtiment qui était jadis la bibliothèque où le
jeune collégien en rupture de discipline se passionnait à la
lecture de W. Scott. L’on déplore que dans une ville aussi vaste
que Bordeaux et riche en places pittoresques, l’on n’ait pas
honoré du nom du poète un espace où l’on pût retrouver cette
beauté de nature tropicale qu’il chanta avec tant d’émotion et
de science (i) : l’admirable square dominant la rivière et
l’océan était tout désigné. Récemment, un excellent professeur
du lycée a prononcé à la distribution des prix un discours
érudit et pieux.
« Nous avons lu Caïn d’un bout à l’autre, malgré la privation la plus absolue de tout mouvement de sympathie quelconque, et plutôt révolté au fond de l’esprit comme au fond de l’âme. Mais enfin la machine est immense, elle joue bien et produit son effet.
« Cet effet invariable est une sensation de rêve lourd et décousu, on voit et on entend des choses dont on ne se rend pas compte ; d’immenses ombres farouches qui s’allongent, s’allongent dans de fausses ténèbres et dans une fausse lumière, escortées d’immenses bruits confus. La vue et l’ouïe sont frappées jusqu’à se ressouvenir, et le rêve vague rappelle vaguement des rêves purs évanouis. L’intelligence ne perçoit rien de net, le cœur n’entend rien qui le touche ; la curiosité seule est saisie, mais elle l’est fortement. Puis, tout s’enfonce dans le brouillard et tout y reste enveloppé. On ne se rappelle pas une figure, on n’a pas retenu un seul vers. Cependant que de figures gigantesques, et que de vers bien faits, sonores, souples, flamboyants, niellés comme le meilleur acier de Damas et capables de trancher des rochers ! Seulement, ils n’entrent pas dans le cœur. Millevoye a mieux réussi avec son pauvre fer blanc.
« Le Louvre possède une célèbre mêlée de Salvator Rosa. Dans un site sauvage, au milieu des rocs et des mines, quel-