Saint-Paul avait produit des poètes, se
renommait le berceau des poètes créoles, Parny et
Bertin. Aujourd’hui encore le jeune Saint-Paulois
est éléçiaque, s’émeut à des amours qu’il honore,
d’une conscience convaincue qu’il orne de vers
murmurants où languissent des aveux surannés,
qu’il célèbre du beau soin de copier les
« Vase-brisé » de poètes connus ou les plus touchantes
romances. Il garde et porte l’empreinte de la ville.
C’est en cette ville sentimentale de s’évoquer active
et vive et de se contempler déserte et
mélancolique, que rêvèrent les premières années de Leconte
de Lisle.
Rêveur, l’enfant répandait sur toutes choses baignant dans l’atmosphère musicale des tropiques son affectuosité débordante. Cependant elle se fixa autour de plusieurs formes de jeunes filles dont la légende n’a point conservé tous les noms. Sa timidité réservait alors, pour les transposer en confidence poétique et sous le déguisement, plus transparent que la mousseline de l’Inde sur une peau orangée, l’aveu chaud et coloré : « Sais-tu que ta bouche est mon aurore.
Sais-tu que le baiser, sur tes lèvres cueilli,
Est un feu délirant, le seul rayon ami
Dont mon âme se dore ?
Sais-tu bien que je tremble en écoutant ta voix ?
Que la fièvre me prend, lorsque je t’aperçois…