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demandé cent pages de développement, et je la crois fausse d’intention ; il ne faut pas revenir à l’antiquité, mais prendre ses procédés. Que nous soyons tous des sauvages tatoués depuis Sophocle, cela se peut ; mais il y a autre chose dans l’art que la rectitude des lignes et le poli des surfaces. La plastique du style n’est pas si large que l’idée entière, je le sais bien ; mais à qui la faute ? à la langue ; nous avons trop de choses et pas assez de formes… (p. 199.)

« Il y a une belle engueulade aux artistes modernes dans cette préface, et dans le volume, deux magnifiques pièces (à part des taches) : Dies Iræ et Midi. Il sait ce que c’est qu’un bon vers, mais le bon vers est disséminé, le tissu lâche, la composition des pièces peu serrée ; il a plus d’élévation dans l’esprit que de suite et de profondeur. Il est plus idéaliste (souligné) que philosophe, plus poète qu’artiste. Mais c’est un vrai poète et de noble race ; ce qui lui manque, c’est d’avoir bien étudié le français, j’entends de connaître à fond les dimensions de son outil et toutes ses ressources ; il n’a pas assez lu de classique en sa langue : pas de rapidité ni de netteté, et il lui manque la faculté de faire voir (souligné), le relief est absent, la couleur même a une sorte de teinte grise ; mais de la grandeur ! de la grandeur ! et ce qui vaut mieux que tout, de l’inspiration. Son hymne védique à Surya est bien belle… Je ne connais rien chez Lamartine qui vaille le Midi de Leconte.

… « Dans mon contentement du volume de Leconte, j’ai hésité à lui écrire, cela fait tant de bien de trouver un homme qui aime l’art et pour l’art… mais je ne partage pas entièrement ses idées théoriques, bien que ce soient les miennes, mais exagérées… » (Flaubert : Correspondance.)

Flaubert écrivait encore, ce qui précise les lignes précédentes : « L’élément romantique lui manque à ce bon de Lisle… — il ne voit pas la densité morale qu’il y a dans certaines laideurs ; aussi la vie lui défaille et même, quoiqu’il ait de la couleur, le relief ; le relief vient d’une vue profonde, d’une pénétration de l’objet, car il faut que la réalité extérieure entre en nous à nous faire presque crier pour la bien reproduire ; quand on a son modèle net, devant les yeux, on écrit toujours bien, et où donc le vrai est-il plus clairement