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L’ENFANCE DANS L’ÎLE

conseils s’étaient tenus, où s’étaient débattues les graves questions relatives à l’avenir de la naissante colonie. De nombreuses fêtes avaient épanoui leur luxe asiatique sous son ciel atricain, broché d’étoffes malabazaises, la verdure de ses allées de légumineuses avait animé la clarté de ses sablonneuses rues. Rues qui se firent désertes peu à peu et par la disparition de ces magies orientales, et par l’assoupissement de l’activité ancienne, et par la désuétude de la vie intime et fastueuse des maisons qui, inhabitées, se fermèrent, rentrèrent en la discrétion des vergers naturels, se retranchèrent derrière les strictes grilles des enclos.


Les jets d’eau se sont tus dans les marbres taris.
Plus de gais serviteurs sous la varangue ouverte.
Plus de paons familiers sous les berceaux flétris ?
Tout est vide et muet.


La rade aussi s’était élargie d’un vide obstiné : l’âme nostalgique se complaisait à y restituer les fantômes pavoises des anciens vaisseaux qui, maintenant cachés par la lointaine et lourde montagne, appareillaient à la ville dominante, la capitale, Saint-Denis.

Les souvenirs historiques dont s’illusfrait leur ville se recueillaient au cœur des Saint-Paulois : le spectacle de la ville déchue s’accompagnait de la lejjrésentation de sa brillante activité d’autrefois. Les flâneries se voilèrent de la mélancolie des « emplacements » inoccupés et sourds, s’imprégnèrent des effluves romantiques qu’exhalait la rade morte. Et s’affirma ainsi un plus intime attachement au « quartier» délaissé, que manifeste encore le Saint--