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parce qu’il vécut au milieu des races les plus différentes : Malgaches, Chinois, Cafres, Hindous, — sans compter le fond de colonisation française, anglaise, espagnole, hollandaise — rencontrées pacifiquement dans une île verdoyante et tiède, qu’il eut le goût complexe des races, qu’il fut volupteusement induit à faire entrer dans la verdure lumineuse de ses poèmes paradisiens toutes les fortes races de la terre.

Mais ce que Bourbon, de son autre nom l’île d’Éden, représenta avant tout à Leconte de Lisle, ce fut Éden même, une terre vierge où la nature ample et heureuse pouvait bercer au flanc mamelonné des monts, une humanité forte et souriante. Il l’appelle « Éden » ou « paradis » terrestre toutes les fois qu’il l’évoque : dans la nouvelle Mon premier amour en prose, dans la série de nouvelles publiées en 1845-1846 ; Marcie, Sacatove, dans la plupart de ses poésies : la Fontaine aux lianes, le Bernica. Si aurore, le Frais matin dorait… On peut affirmer que c’est d’être né sur une terre nouvelle qu’il eut cette continuelle vision extasiée de l’âge primitif de la nature et de l’humanité qui constitue peut-être l’éminente originalité de son inspiration. Il avait trop goûté lui-même la saine félicité que verse à l’âme d’un homme jeune une nature exubérante et aromatique, pour qu’il ne regardât à jamais comme un apostolat de « ramener l’humanité, si faire se peut, dans Éden[1] ». Aux jours de son adolescence, il s’y sentit robuste à la

  1. Lettre à Adamolle, 1845.